Cela fait un petit moment que je n’ai pas fait d’article à propos de problèmes géométriques. Je vais donc essayer de réparer cela en vous proposant le petit énoncé suivant (issu du concours Putnam):
Soit (C1) et (C2) deux cercles dont les centres sont séparés de 10 unités, et de rayons respectifs égaux à 1 et 3. Quel est l’ensemble des points M tels qu’il existe un point X appartenant à (C1) et un point Y appartenant à (C2) tels que M est le milieu de [X;Y] ?
Libre à vous de chercher par vous-même avant de lire la suite de cet article.
Geogebra, à la rescousse
On peut toujours supposer que le centre du cercle (C1) est situé à l’origine du repère et que le cercle (C2) est situé sur l’axe des réels, à 10 unités de l’origine.
A priori, l’ensemble des points M semble un peu mystérieux. Afin d’ébaucher un peu cet ensemble, on peut utiliser la fonction « Trace activée » de Geogebra. Cela signifie que lorsqu’on fait bouger X et Y, le point M (qui bouge lui aussi, évidemment…), laisse une trace rouge en chaque point qu’il traverse.
Voici les superbes gribouillages (dignes d’un très bon élève de CE1) que j’ai réussi à effectuer (on reconnaîtra le style « spirographique »):

Et on fait tourner les serviettes. Enfin, on fait tourner X et Y. Aucun motif particulier ne se dégage pour le moment.
Après cette séance d’art, il apparaît donc que l’ensemble des points M cherché est une couronne centrée en 5.
C’est parti pour la preuve
Afin d’analyser et de résoudre ce problème, nous allons nous placer dans le plan complexe. Chaque point M du plan est donc repéré par un nombre complexe z (appelé son affixe). Nous allons prouver que l’ensemble cherché est l’ensemble des points M d’affixe z tels que .
Tout d’abord, le cercle (C1) est l’ensemble des points X dont les affixes sont des nombres complexes de la forme (
).
Le cercle (C2), lui, est constitué des points Y dont les affixes sont nombres complexes de la forme (
).
Soit M un point du plan qui est le milieu de deux points X et Y appartenant respectivement à (C1) et (C2). Montrons que M appartient à la couronne. Si on note l’affixe de M, cela signifie qu’il existe deux nombres réels
tels que
Tout cela est très bien… Mais à quoi cela nous avance-t-il ? Je ne sais pas encore. Voyons voir si nous pouvons modifier l’expression de z afin de mettre ce nombre sous une forme plus familière. Nous pouvons déjà séparer les exponentielles du reste:
On voit déjà apparaître le 5 que nous avions aperçu dans notre conjecture sur la couronne. A présent, utilisons les inégalités triangulaires:
D’où:
Le point M appartient donc bien à la couronne.
Réciproquement, montrons que tout point M de la couronne est le milieu de deux points X et Y appartenant respectivement à (C1) et (C2). Puisque M appartient à la couronne, son affixe z s’écrit où
est un réel, et
est un réel compris entre 1 et 2 (inclus). Nous cherchons à résoudre l’équation à deux inconnues
et
suivante:
En fait, on cherche moins que cela. On ne cherche pas à savoir quelles sont les solutions de cette équation mais à savoir si et
existent.
Avant cela, revenons à notre dessin. Quand on fixe Y et qu’on fait tourner X (c’est-à-dire quand on fixe et qu’on fait varier
), voici ce qu’on obtient:
![Quand Y est immobile, l'ensemble des milieux M' du segment [XY] est un cercle. L'ensemble des lieux des centres de ces cercles est aussi un cercle, dessiné en pointillé.](https://blogdemaths.files.wordpress.com/2013/03/quand-y-est-immobile.png?w=640&h=316)
Quand Y est immobile, l’ensemble des milieux M’ du segment [XY] est un cercle (Vous le voyez ? C’est le petit cercle, pris en sandwich dans la couronne).
Fixons et voyons ce qui se passe quand
se balade dans
. Puisque l’affixe du milieu M’ du segment [XY] est
, l’ensemble décrit par M’ est l’ensemble:
.
Il s’agit d’un cercle de centre le point d’affixe
et de rayon
. Sur la figure ci-dessus, c’est le petit cercle coincé dans la couronne. L’idée est donc de choisir
(indépendamment de
) de telle sorte que le cercle inscrit dans la couronne touche le point M. Il suffira ensuite de faire tourner M’ sur ce cercle pour que M coïncide avec M’.
![L'idée est de choisir Y de telle sorte que l'ensemble décrit par le milieu de [XY] quand X varie et Y est immobile soit un cercle sur lequel se situe le point M.](https://blogdemaths.files.wordpress.com/2013/03/idc3a9e-de-la-solution.png?w=640&h=311)
L’idée est de choisir Y de telle sorte que l’ensemble décrit par le milieu de [XY] quand X varie (et Y est fixe) soit un cercle sur lequel se situe le point M.
Mathématisons tout cela. La question à laquelle nous tentons de répondre à présent est donc: existe-t-il tel que
appartienne au cercle
? Géométriquement, c’est évident. Mais pour être rigoureux, résolvons une équation…
Mais souvenons-nous que . Une rapide étude de fonction nous montre que la quantité
est comprise entre 0 et 1 quand
est compris entre 1 et 2. Ainsi, cette quantité peut s’écrire comme le cosinus d’un réel
. On en déduit donc que le point M appartient au cercle
si, et seulement si,
donc si, et seulement si,
ou
.
Bref, peu importe la valeur exacte de (qui dépend de
), nous avons prouvé qu’il existe un
(et même deux) tel que le point M soit sur le cercle
. En termes géométriques, cela veut dire qu’il existe un point Y tel que M appartient au cercle décrit par le milieu M’ de [XY] quand X parcourt son cercle. Le point Y étant fixé, puisque M est sur ce cercle et que le point M’ décrit ce cercle quand X varie, il existe donc un point X pour lequel M’=M.
Nous avons donc prouvé (non sans peine !) que si M est un point de la couronne, alors il existe deux points X et Y tels que M est le milieu de [XY]. Tout ça pour ça… faire des mathématiques peut être un peu ingrat parfois !