Il y a quelques temps de cela, j’avais posté sur Twitter l’animation suivante:Cette animation était accompagnée du (bref) commentaire suivant :
« Les fonctions exponentielles
sont les seules fonctions égales à leur dérivée »
C’est une affirmation bien téméraire que j’avais fait là ! Comme le disait Euclide, « ce qui est affirmé sans preuve peut être réfuté sans preuve », donc nous n’allons surtout pas contrarier Euclide et nous allons prouver cette affirmation.
Explication de l’animation
Avant même de démontrer cette propriété, il est peut-être utile d’expliquer en quoi cette animation illustre le fait que les fonctions sont égales à leur dérivée.
Si on se donne la courbe d’une fonction, il est facile de lire l’image d’un point : il suffit de « monter » jusque la courbe et de lire l’ordonnée:
Pour lire graphiquement la dérivée, il faut se souvenir que le nombre dérivé en un point n’est rien d’autre que le coefficient directeur de la tangente en ce point. Vous vous souvenez aussi sans doute de comment lire graphiquement le coefficient directeur d’une droite: on part de n’importe quel point de cette droite, on se décale d’une unité vers la droite et le coefficient directeur est le nombre d’unités qu’il faut parcourir verticalement pour retourner sur la droite.
Dans l’animation, nous voyons que les deux segments représentant les distances
et
sont de même longueur, quelque soit l’abscisse
à laquelle on se trouve: cela veut bien dire que la fonction
qui est tracée est égale à sa dérivée.
Cette animation illustre donc bien le fait que les fonctions de la forme
sont égales à leur dérivée, mais elle n’explique ni pourquoi c’est le cas, ni pourquoi il ne peut y avoir d’autres fonctions qui vérifient cela.
Heuristique
Avant de faire une vraie démonstration mathématique de l’affirmation donnée au début de l’article, à savoir que les seules fonctions égales à leur dérivée sont les fonctions de la forme , essayons de comprendre pourquoi si une fonction est égale à sa dérivée, alors c’est forcément une fonction exponentielle. Pour cela, nous allons commettre l’irréparable: nous allons faire un raisonnement « à la physicienne » (je sens que je ne vais pas me faire que des amis…)
On considère une fonction . Si cette fonction est égale à sa dérivée alors
donc, en divisant par
,
D’une part, nous savons qu’une primitive de est
. D’autre part, nous savons qu’une primitive de
est
où
est une constante. Ainsi, en « primitivant » l’égalité
, on obtient
En prenant l’exponentielle des deux côtés, on a alors
En posant , on voit donc que
est de la forme
.
J’entends déjà certains hurler que ce raisonnement n’est pas du tout rigoureux (« Je pensais qu’on faisait des maths sur Blogdemaths ! C’est inadmissible ! ») et ils auraient raison. Voyez-vous pourquoi ? Il y a deux raisons à cela:
- Tout d’abord, une primitive de
est
et non
.
- Ensuite, on a divisé par
dès le départ, mais rien ne nous dit que
ne s’annule pas !
Nous avons donc commis deux pêchés capitaux en mathématiques: prendre le logarithme d’un nombre qui peut être négatif et diviser par zéro ! Pour nous repentir, nous allons donner une vraie démonstration mais vous allons voir qu’il faut peu de choses pour rendre notre explication précédente rigoureuse. A commencer par utiliser des produits plutôt que des quotients.
Une démonstration plus rigoureuse
Soit une fonction définie sur
.
a) Si est de la forme
alors il est aisé de calculer sa fonction dérivée:
donc
est bien égale à sa dérivée. Facile.
b) Réciproquement, si est égale à sa dérivée, il s’agit de montrer qu’elle est de la forme
. Comme pour tout
,
alors
Jusque-là, rien de bien folichon. L’idée va être d’interpréter cette égalité comme étant de la forme de façon à pouvoir en prendre une primitive à l’aide de la formule de dérivation
. Pour cela, on multiplie la relation
par
ce qui va justement faire marcher les choses. Plus précisément, cela donne:
On réécrit cette égalité sous la forme suivante:
On reconnaît alors à gauche une expression de la forme avec
et
Comme est la dérivée de
, en primitivant des deux côtés la relation
, on a
où
est une constante
En faisant passer l’exponentielle de l’autre côté, on obtient finalement que
Fonctions proportionnelles à leur dérivée
L’idée précédente de faire apparaître la forme en multipliant par la bonne fonction peut se généraliser au cas où on cherche les fonctions qui sont, non pas égales à leur dérivée, mais proportionnelles à leur dérivée.
Par exemple, si on souhaite déterminer toutes les fonctions égales à deux fois leur dérivée, cela revient à chercher les fonctions telles que
. Ainsi,
En multipliant des deux côtés par (dont la dérivée est
), on a :
c’est-à-dire avec
et
. En primitivant cette relation, on obtient alors que le produit
est constant, c’est-à-dire:
et en passant l’exponentielle de l’autre côté, on voit donc qu’une fonction qui est égale à deux fois sa dérivée est nécessairement de la forme
Vers les équations différentielles linéaires du 1er ordre
Sur ce principe, on peut résoudre n’importe quelle équation différentielle linéaire du premier ordre c’est-à-dire une équation de la forme:
où la fonction est l’inconnue et où la fonction
est une fonction continue donnée (par exemple, pour les fonctions égales à leur dérivée, on avait
qui était donc une fonction constante). En suivant ce que nous avons dit précédemment, on va multiplier l’égalité précédente par une fonction du type
(où
est une fonction à déterminer) afin de faire apparaître la forme
:
Toujours comme précédemment, on pose et
. Comme la dérivée de
est
, il suffit donc que la fonction
soit une primitive de la fonction
(dont on sait qu’elle existe car toute fonction continue sur un intervalle possède une primitive sur cet intervalle) pour qu’on ait bien
. En supposant cela, si on primitive la relation
, on obtient
.
Voici donc ce que nous avons prouvé:
Soit
une fonction continue sur un intervalle
. Les fonctions définies sur
solutions de l’équation différentielle
sont les fonctions
de la forme
où
est une primitive de la fonction
sur
.
Je pense qu’avec tout ça, Euclide devrait être satisfait !
C’est joli mais je me demande un peu, à vous lire, ce qu’est une fonction … Vous ne semblez pas vous préoccuper des domaines de définitions.
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En effet ! Disons que toutes les fonctions dont on parle sont définies sur R.
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Bonjour m. Je trouve vos explications fortes et concises surtout pour cette équation dont nous avons eu la reponse en terminale S sans démonstrations. Je vous remercie.
Je viens par ailleurs vous demander la repose pour cette inégalité posée aux enfants pour preparer les olympiades.
EXO : pour tout x, y,z positif, quelle est la valeur maximale de. xyz/[(x+1)(x+y) (y+z) (z+16)] .
Ma réponse est 1/81 pour x =2 , y=4, z =8. Pour déterminer, etant donner que x +1et z+16 casse la symétrie de l’ expression en dénominateur, j’ai aligné x +y et y +z sur x +1 (apres avoir gambergé 3 jours) en posant
y =x^2 et z = x^3 ce qui donne x+y = x (x+1) , y+z= x^2 (x+1) et z+16 = x^3 + 16 ce qui donne une expression sur x qui simplifiée donne
x^3/ [(x+1)^3 . (x^3 + 16)].
En derivant j’ obtient au numérateur 16 – x^4 et ainsi x =2 est un extremum et de là j’obtiens y=4 et z=8.
Je vous rapelle que je n’ai pas fait les math supérieures pour aller avec les dérivées partielles. Aidez moi pour avoir une reponse correcte et rigoureuse.
Merci d’ avance.
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je remercie ce monsieur de tout ses efforts envers cette societe
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Bonjour, super billet merci ! Petite remarque: pour le cas f(x)=2f'(x), au lieu de refaire une variante de tout le raisonnement on peut remarquer que la fonction g(x)=f(2x) vérifie g'(x)=g(x), et que donc g(x)=kexp(x), et finalement f(x)=g(x/2)=kexp(x/2).
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