En parcourant le sujet de mathématiques du baccalauréat Scientifique tombé le 21 Juin dernier en métropole et à la Réunion, je suis tombé sur un exercice particulièrement intéressant (non pas que les autres ne le soient pas…) et qui a éveillé m’a curiosité. Il s’agissait du dernier exercice du sujet reservé aux candidats qui ont choisi la spécialité mathématiques, et il portait sur des notions d’arithmétique.
Dans cet exercice on définissait un type de triangle assez particulier: les triangles rectangles presque isocèles (TRPI). Un TRPI est un triangle rectangle dont tous les côtés ont des longueurs qui sont des nombres entiers, et tel que les deux côtés qui ne sont pas l’hypoténuse ont des longueurs qui diffèrent juste d’une unité (et qui sont donc presque égales, d’où l’appellation « presque isocèles »). Cet exercice faisait prouver aux candidats quelques propriétés d’un TRPI (par exemple que
est toujours un nombre impair) et il se terminait en donnant une suite de TRPI. La dernière question faisait d’ailleurs démontrer que le plus petit TRPI dont les longueurs sont toutes supérieures à 2017 est le TRPI qui a pour côtés 4059, 4060 et 5741.

Voilà le triangle qui a fait suer des milliers de candidats cette année ! J’en connais qui n’ont pas eu le bac juste à cause de lui…
La question que je me suis posée en finissant cet exercice était: « Peut-on déterminer tous les TRPI ? ». Cette question, je vous la pose aussi ! Je vous laisse réfléchir autant que vous le voulez, puis lisez la suite.
Une équation diophantienne
Afin de trouver tous les TRPI possibles et inimaginables (oh qu’il y en a !), commençons par déterminer une équation qui traduit le problème. D’après le théorème de Pythagore, un triangle de côtés et
est un TRPI si, et seulement si
Cette équation n’est pas particulièrement émoustillante (personnellement, je n’ai pas la gigite en la regardant), essayons de la transformer en utilisant la fameuse forme canonique:
La dernière équation est encore équivalente à . En posant
et
, l’équation devient
Si ce type d’équation vous dit quelque chose, c’est normal car il s’agit d’une équation de Pell-Fermat ! Et s’il ne vous dit rien… voyons voir comment on résout cela !
Premières solutions
Avant de résoudre complètement notre équation de Pell-Fermat (j’annonce !), cherchons-en quelques solutions. On vérifie facilement que le couple et
est une solution car
. Comme nous avions fait les changements d’inconnues
et
, on a donc
et
ce qui donne ici la solution
et
.
Le triangle qui a pour côtés 0, 1 et 1 n’étant pas très intéressant, cherchons donc une autre solution moins débile. En tâtonnant (c’est-à-dire en testant les valeurs ), on voit que
et
est un couple de solutions de l’équation
car
. En revenant à
et
, cela donne les valeurs
et
On peut alors vérifier que le triangle qui a pour côtés 3, 4 et 5 est bien un TRPI et c’est même le plus petit possible. Au passage, on retrouve ici la question 2 de la partie A du sujet de bac.

Le fameux triangle 3-4-5 est un TRPI. Désormais, vous ne le regarderez plus de la même façon. (Source de l’image)
Tout cela est bien joli mais trouver une autre solution à l’équation semble devenir difficile ensuite car, comme vous pouvez le vérifier, il n’y a aucune solution pour
allant de 8 à 40. Et pourtant, cette équation possède une infinité de solutions !
Une infinité de solutions
Avant de prouver qu’il existe une infinité de solutions (ce qui est une première étape avant de trouver toutes les solutions), voyons comment noter plus simplement les solutions. Nous avons vu précédemment que le couple et
est une solution de l’équation
. Nous dirons alors que
est une solution de cette équation. De même, nous avons vu que
est une solution de notre équation, car ce nombre correspond au couple
et
.
Pourquoi utiliser une notation avec des racines carrées ? Tout simplement car cela va nous permettre de multiplier des solutions entre elles pour fabriquer d’autres solutions. Cela étant dit, cette notation est bien définie car à un couple ne correspond qu’un seul nombre
. Autrement dit,
et, sans rentrer dans les détails, cela vient du fait que
est irrationnel.
Sachant tout cela, nous allons voir comment à partir de solutions déjà connues on peut construire d’autre solutions. Un premier pas pour cela est la propriété suivante (dont une démonstration est donnée en annexe à la fin de l’article):
Si
est une solution de l’équation
et si
est une solution de l’équation
alors
est une solution de l’équation
Qu’on s’entende bien sur ce que cela signifie: en le développant, on peut voir que le nombre s’écrit de manière unique sous la forme
et donc dire que
est une solution de l’équation
signifie que
. Voilà donc où réside l’intérêt de noter les couples de solutions sous la forme
.
Par exemple, on a vu que est
sont deux solutions de
donc cette propriété nous dit que
est une solution de l’équation
, ce dont on peut se convaincre assez aisément car
Cependant, ce qui nous intéresse ici n’est pas l’équation mais
. Qu’à cela ne tienne, en appliquant la propriété précédente deux fois de suite, on peut trouver par exemple que
est une solution de l’équation
. Là encore, je vous laisse vérifier que
. Ca paraît tellement magique de pouvoir construire autant que l’ont veut de solutions à cette équation dont on n’arrivait même pas à trouver plus de deux solutions à la main !
Plus généralement, on peut démontrer par récurrence (voir en fin d’article) qu’il y a une infinité de solutions :
Pour tout entier naturel
,
est une solution de l’équation
.
Par exemple, si on prend alors
est bien une solution de notre équation. En fait, on pourrait même montrer que si
est un entier relatif (donc éventuellement négatif) alors
est une solution de notre équation. Par exemple, si
, on a
mais
et cela nous donne la solution et
(
). Youpi.
Réciproque
En début d’article, nous nous étions mis en tête de trouver toutes les solutions de cette équation. Je dois vous avouer qu’on pourrait en fait s’arrêter là car nous les avons déjà toutes trouvées… sauf que nous ne le savons pas encore. Du moins, nous ne l’avons pas encore démontré mais les solutions sont bien les seules possibles:
Toute solution de l’équation
est de la forme
.
Pour le démontrer, on considère une solution de l’équation
. Comme la suite
est strictement croissante et tend vers
, il existe un unique entier naturel
tel que
ce qui est équivalent à
c’est-à-dire:
Comme est de la forme
, alors, comme nous l’avons vu, c’est une solution de l’équation
et on en déduit que
est une solution de l’équation
.
D’autre part, est aussi une solution de
. C’est même la plus petite solution non triviale (c’est-à-dire avec
et
tous deux non nuls) de cette équation comme on peut le vérifier facilement.
Nous sommes en train de voir que est une solution de
strictement plus petite que la plus petite solution non triviale
. Cela implique donc que
ne peut être autre chose que la solution triviale
de l’équation
. Autrement dit,
CQFD!
Retour sur les TRPI
Pour finir de décrire toutes les solutions de l’équation , cherchons à déterminer les suites
et
telles que pour tout entier
,
Tout d’abord, entraine que
et
. D’autre part,
Par identification, on obtient les égalités suivantes:
Pour faire le lien avec les TRPI, n’oublions pas qu’on avait les relations
et
et de cela on peut en déduire les relations de récurrence ci-dessous :
(je vous ai épargné les calculs… si vous êtes arrivés à ce stade de l’article, je suis déjà content !).
Sachant que et
(on retrouve ici la solution débile que nous avions trouvée tout au début), on peut alors calculer par récurrence la liste de tous les TRPI (et constater que ça croît très vite !):
En fait, ces suites et
sont exactement les suites données dans le sujet de bac sous forme matricielle et nous avons vu qu’elles permettent de trouver tous les TRPI, sans exception. Les élèves ne le savaient donc pas quand ils composaient, mais ils avaient sous les yeux toutes les solutions possibles de TRPI !
Note:
Vous trouverez les démonstrations des propriétés énoncées dans l’article dans ce document.
Très intéressant mais…
Les preuves données en annexe ne me plaisent pas. Je dis cela avec plein de douceur car j’adore vos articles.
Pourquoi cela me déplait-il ?
Vous devriez prendre le temps de parler des normes sur des anneaux d’entiers quadratiques. Cela n’est pas trop dur à introduire en généralisant le module complexe pour
, ou plus affreusement
, aux nombres du type
avec
. En faisant cela, il devient « naturel » d’avoir la propriété de multiplication.
PS – Une coquine : dans la phrase « La dernière équation est encore équivalente à… », un
a disparu devant le
.
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Coquine coquille bien entendu…
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Je comprends que les preuves en annexe puissent vous déplaire (même si personnellement, je les trouve agréables car elles ne font intervenir que des outils élémentaires de niveau lycée !) et je suis d’accord avec vous sur le fait que la propriété de la multiplication semble parachutée de nulle part… (même si l’identité de Brahmagupta qui en est à l’origine est assez connue !)
J’écrirais volontiers des démonstrations faisant intervenir des notions plus poussées (comme celles d’anneaux des entiers d’un corps quadratique !) mais cela supposerait beaucoup de prérequis chez les lecteurs et j’ai peur que cela empêcherait une partie des lecteurs de pouvoir comprendre mes articles.
Cela dit, si vraiment il y a une forte demande pour des articles faisant intervenir des notions de plus haut niveau mathématique, je me ferai un plaisir d’en écrire ! 🙂
Merci pour m’avoir signalé la coquille, je viens de la rectifier !
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Joli article !
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Merci !
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