Un Roi situé sur la case tout en bas à gauche d’un échiquier souhaite (pour des raisons personnelles que nous ne détaillerons pas ici) se rendre sur la case située tout en haut à droite.Contrairement au jeu d’Échecs où il peut se déplacer d’une case dans toutes les directions, notre Roi ne pourra ici se déplacer que d’une case vers la droite ou d’une case vers le haut à chaque fois.
En plus de ça, notre Roi ne peut pas aller dans la partie haute de l’échiquier (trop fainéant), c’est-à-dire qu’il devra rester toujours en-dessous ou sur la diagonale principale:
(Remarquez au passage la belle illusion d’optique créée par cette figure…)
Voici donc la question qui va nous intéresser: de combien de façons un Roi sur un échiquier partant de la case la plus en bas à gauche peut-il rejoindre la case la plus en haut à droite en se déplaçant à chaque étape uniquement soit d’une case vers la droite, soit d’une case vers le haut, sans jamais aller au-delà de la diagonale principale ?
Nous verrons que ce problème d’apparence anecdotique renferme en fait une des suites de nombres les plus intéressantes en mathématiques.
Généralisation
En bons mathématiciens que nous sommes, nous voyons qu’il n’y a aucune raison de se restreindre à un échiquier de 8 cases par 8 cases. D’une part, parce qu’il est plus facile de comprendre et de résoudre ce problème si les échiquiers sont plus petits (on peut considérer des échiquiers de 1 par 1, ou de 2 par 2 pour commencer) et d’autre part, parce que vous n’êtes pas curieux de savoir ce qui se passe pour un échiquier de 9, 10 ou même 30 000 cases de côté ? Moi, si…
Si on reformule notre problème de façon plus générale, cela donne: si est un entier naturel, et si on place le Roi sur un échiquier de
cases, de combien de façons peut-il aller de la case
à la case
sans jamais aller au-dessus de la diagonale principale ?
Nous appellerons ce nombre de chemins et notre but va être de déterminer le nombre
(qui correspond au nombre de chemins sur un échiquier standard de 8 par 8).
Quelques cas particuliers
Comme on l’a dit, pour comprendre cette suite le mieux est encore de regarder comment elle se comporte pour de petites valeurs de
. Je vous propose donc de commencer par voir ce qui se passe pour
. Car, non, il n’y a rien de honteux à commencer à
. On a tous un ami, ou un proche qui a commencé à
un jour dans sa vie.
Nous voyons donc qu’il n’y a qu’un seul chemin, celui qui consiste à ne pas se déplacer puisqu’on est déjà sur la case d’arrivée dès le départ ! Ainsi,
. Passons au cas
, qui correspond à un échiquier de 2 par 2:
Et nous voyons facilement qu’il n’y a qu’un seul chemin possible:
Nous venons de démontrer, non sans fierté, que
. Et pour
alors ? Eh bien sortons un échiquier de 3 cases sur 3 cases et comptons:
On voit alors qu’il n’y a que deux chemins possibles donc
.
La marche de l’empereur
Vous pouvez vous amuser à compter tous les chemins pour , mais à partir de
cela commence à devenir fastidieux. Alors imaginez pour
… Donc, plutôt que de compter tous les chemins, nous allons plutôt essayer de trouver une relation de récurrence vérifiée par la suite
afin de laisser le soin à un ordinateur de faire le calcul à notre place (y a pas que le Roi qui est fainéant !)
Supposons que nous connaissions déjà ,
,
, …,
et essayons de voir comment en déduire
. Il nous faut pour cela nous placer sur un échiquier à
cases:
Tout d’abord, si un chemin va de
à
, il passera au moins une fois par la diagonale principale autrement qu’en
(au pire, en
). Considérons un chemin quelconque, et notons
le plus petit entier strictement positif tel que ce chemin passe par la case caca… pardon,
:
Ainsi, avant la case
aucune case de la diagonale n’est visitée (hormis
bien sûr). Après cette case, une ou plusieurs cases de la diagonale pourront être traversées. Notre but va être de dénombrer combien de tels chemins passant par
sont possibles. Mais avant cela, pour bien comprendre la situation, voici un exemple de tel chemin:
Ce chemin peut être décomposé en deux morceaux: un chemin allant de
à
(en bleu sur le schéma ci-dessous) et un chemin allant de
à
(en vert sur le schéma):
Pour obtenir le nombre total de chemins passant pour la première fois sur la diagonale en
, il suffira de faire le produit du nombre de chemins bleus possibles par le nombre de chemins verts possibles.
Dénombrement des chemins bleus
Pour dénombrer tous les chemins allant de à
qui ne passent par aucune case de la diagonale principale, il faut d’abord remarquer deux choses:
- Puisque le Roi ne se déplace que vers la droite ou vers le haut, alors le tout premier déplacement qu’il effectue au départ est nécessairement vers la droite, donc vers la case
.
- Pour la même raison, lorsque le Roi arrive à la case
, c’est forcément en provenance de la case située juste en dessous, c’est-à-dire de la case
.
Puisque ces deux déplacements sont forcés, pour déterminer le nombre de chemins bleus il suffit de déterminer tous les chemins allant de
à
qui ne passent pas par la diagonale principale.
Cela revient donc à déterminer tous les chemins ne dépassant pas la diagonale principale d’un sous-échiquier à
cases. Par définition, il y a donc
chemins bleus.
Dénombrement des chemins verts
Le dénombrement des chemins verts est beaucoup plus immédiat. En effet, un chemin vert est un chemin allant de à
qui ne va pas au-delà de la diagonale (mais qui peut tout à fait passer sur celle-ci).
Il y a donc autant de chemins verts que de chemins ne dépassant pas la diagonale dans un échiquier de
cases, c’est-à-dire
chemins, par définition.
Dénombrement final
D’après ce que nous venons de voir, il y a donc chemins allant de
vers
ne passant jamais au-dessus de la diagonale et passant pour la première fois sur celle-ci en
.
Ainsi, si on prend un chemin quelconque, alors:
- Soit la première case de la diagonale par laquelle il passe est
(c’est-à-dire
), ce qui donne
possibilités;
- Soit la première case de la diagonale par laquelle il passe est
, ce qui donne
possibilités;
- Soit la première case de la diagonale par laquelle il passe est
, ce qui donne
possibilités;
- etc.
- Soit la première case de la diagonale par laquelle il passe est
, ce qui donne
possibilités.
Puisque tous ces cas sont disjoints, le nombre total de chemins est donc:
ce qu’on peut réécrire sous la forme plus compacte et plus jolie suivante:
Le calcul pour un échiquier standard
Par exemple, si on souhaite calculer , on écrira:
Comme nous avions vu que ,
et
, alors:
De la même façon, on peut facilement calculer le nombre chemins sur un échiquier de 8 par 8, mais comme les ordinateurs font ça beaucoup mieux que nous, il est préférable d’écrire un petit programme (non optimal), qui nous dit que . Et voilà, nous avons la réponse à notre question de départ !
Pour le plaisir, on peut s’amuser à calculer les valeurs suivantes de cette suite:
Enquête de satisfaction
Nous avons donc réussi à trouver une formule de récurrence pour la suite mais, franchement, pensez-vous vraiment que nous allons nous satisfaire de cela ? Nous valons mieux que ça, voyons… visons plus haut ! Pourquoi ne pas essayer de trouver une formule explicite de cette suite ? C’est ce que nous tenterons de faire dans la deuxième partie de cet article… ce qui nous donnera l’occasion de faire encore plus de dénombrement !
Note:
Les nombres que nous avons étudiés dans cet article s’appellent les nombres de Catalan, du mathématicien Eugènes Charles Catalan, qui, comme son nom ne l’indique pas, était un mathématicien franco-belge.
Merci pour cet article très intéressant et très bien expliqué.
Je vous signale juste une petite coquille dans le cas n=2, vous avez tapé C2=3
Encore merci pour ce partage…
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Voilà qui est corrigé !
Merci pour votre message, je suis content de voir que cet article vous a plu !
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Ping : un chemin allant de (0, 0) à (k, k), un allant de (k, k) à (n + 1, n + 1) | Colours in Black and White
Je crois qu’il y a un moyen plus simple de résoudre le problème : un chemin qui va de (0,0) à (n,n) en passant dans le rouge peut être envoyé sur un chemin qui va de (0,0) à (n-1,n+1) en appliquant une réflexion par rapport à la droite (m,m+1) uniquement sur la partie du chemin après le premier temps où le chemin entre dans le rouge. Réciproquement, un chemin qui va de (0,0) à (n-1,n+1) entre nécessairement dans le rouge, et par la même application peut être envoyé sur un chemin de (0,0) à (n,n) qui passe dans le rouge. Ainsi ces deux ensembles de chemins ont même cardinal, et en laissant au lecteur le soin de compléter les trous pour ne pas spoiler la suite, on arrive très rapidement au résultat que tu devrais donner dans ta deuxième partie…
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C’est effectivement ce que je comptais expliquer dans la 2eme partie de cet article… Bien vu !
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Ping : Le Roi des Catalans (2ème partie) | Blogdemaths
Bonjour.
Comment ont été fait les graphiques avec les échiquiers car je les trouve sympas ?
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Je les ai fait en LaTeX, à l’aide du très utile package Chessboard que vous pouvez trouver là:
https://www.ctan.org/pkg/chessboard
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