Dans un repère d’origine le point , tracez le cercle de diamètre 3 unités passant par
comme ci-dessous:
Placez le point
de coordonnées
puis tracez le segment partant de
, perpendiculaire à l’axe des abscisses qui rejoint le cercle. On note
le point du cercle obtenu:
Enfin, tracez la droite
et constatez avec une certaine surprise qu’elle ne coupe aucun point de coordonnées entières (hormis
évidemment). Donc
est irrationnel.

La droite (OA) ne passe par aucun point de la grille, ce qui correspond au fait que est irrationnel. Le point (5,7) est très proche, mais comme on le voit sur le zoom, il n’est pas sur la droite (cela s’explique par le fait que le rapport 7/5 = 1,4 est proche de
)
Être à la hauteur
La première chose qu’il faut expliquer, c’est que le segment rouge a pour longueur .
En effet, le triangle
est inscrit dans le cercle et un de ses côtés est un diamètre de ce cercle. Il est donc rectangle et le segment rouge est la hauteur issue de l’angle droit de ce triangle. On sait alors qu’on a la relation
donc
, ce qui donne
.
Ainsi, le vecteur a pour coordonnées
et donc une équation de la droite
est
!
Pythagore et Thalès en guest stars
L’idée de la démonstration qui va suivre m’est venue du constat suivant: si on suppose que est rationnel alors il existe deux nombres entiers naturels
et
qu’on peut supposer premiers entre eux (important pour la fin !) tels que
, ce qui s’écrit encore
et donc il existe un point de coordonnées entières
qui appartient à la droite d’équation
! Si on suppose donc qu’un tel point de coordonnées entières existe sur cette droite, alors on est dans la situation géométrique suivante (la figure est fausse évidemment, elle est juste schématique):
D’après le théorème de Thalès, on a :
On sait que et
. De plus, d’après le théorème de Pythagore:
On en déduit donc que:
ce qui s’écrit aussi . En prenant le carré de cette égalité, on a ainsi la relation suivante:
Un peu d’arithmétique en guise de conclusion
Comme 3 est premier avec 2, et comme 3 divise , c’est que 3 divise
(lemme de Gauss). Pour trouver une contradiction, nous allons étudier tous les restes possibles de l’expression
modulo 3. Par exemple, si
et
alors
. Voici dans le tableau suivant toutes les possibilités de résultat pour
:
On se rend compte que la seule possibilité pour que est
et
ce qui entraîne que
et
sont tous les deux divisibles par 3, mais cela contredit le fait qu’ils sont premiers entre eux…
Amusante cette preuve, non ?
Note: pour les plus érudits d’entre vous, vous savez que si un nombre premier divise une somme de deux carrés et si
est congru à 3 modulo 4 alors
et
sont nécessairement divisibles par
. Ici, il est clair que
est congru à 3 modulo 4…
Fignolage
Si on analyse cette preuve, on se rend compte que ce qui est important est la relation , mais en développant et réduisant cette expression, on voit qu’elle est équivalente à
. On aurait donc très bien pu montrer l’irrationalité de
de la manière plus directe suivante:
Si on suppose qu’il existe et
premiers entre eux tels que
alors en prenant le carré de cette expression, on obtient
c’est-à-dire
. En ajoutant
des deux côtés, on obtiendrait
ce qui, comme 3 est premier avec 2, entraînerait que 3 divise
. Or, les restes possibles de
modulo 3 sont:
et donc, on voit que si alors nécessairement,
et
sont divisibles par 3, ce qui contredit le fait qu’ils sont premiers entre eux.
Pourquoi la géométrie ?
Alors, à quoi nous a servi la géométrie ici, puisqu’on peut faire une démonstration encore plus courte juste en ajoutant les ? D’un point de vue formel, à rien. Mais d’un point de vue de l’intuition, je n’aurais jamais eu l’idée d’ajouter ces
dans
pour avoir
, alors que les théorèmes de Thalès et de Pythagore faisaient apparaître naturellement cette expression.
Et en plus, la géométrie nous a permis d’avoir une belle interprétation du fait que est irrationnel: le fait qu’une certaine droite construite à la règle et au compas ne passe jamais par des points de coordonnées entières !
P.S: Je n’ai jamais vu nulle part cette démonstration utilisant le fait que 3 divise une somme de carrés, donc si vous avez une référence à ce sujet, n’hésitez pas à la poster dans les commentaires !
Encore un bel article.
Merci
J’aimeJ’aime
Merci !
J’aimeJ’aime
Toujours sympa les articles de ce blog !
Pour info, quand a et b sont premiers entre eux, b^2 = 2*a^2 n’est pas possible pour de simples raisons de parité car le carré d’un pair est pair, et celui d’un impair est impair.
J’aimeJ’aime
b pourrait être pair et a impair. La relation b² = 2 a² ne serait alors pas mise en défaut par la parité de a et b. Elle serait fausse en raison de l’unicité de la décomposition en facteurs premiers de a et b, (qui est la démo classique)
J’aimeJ’aime
Non, on peut faire bien plus élémentaire mon cher Watson. B doit être pair compte-tenu de b² = 2a² , d’où b = 2B, puis 4B² = 2a², et enfin a² = 2B² contredirait « l’imparité » de a.
J’aimeJ’aime
Super article ! Très complet
J’aimeJ’aime
Ce qui me gêne, c’est qu’on déduit l’irrationalité de «la droite ne passe par aucune intersection». Qu’est-ce qui nous prouve que c’est le cas?
J’aimeJ’aime
Ce n’est peut-être pas très clair dans l’article, mais on montre que la droite d’équation
ne passe par aucun point à coordonnées entières (a,b) avec a et b premiers entre eux car sinon cela entraînerait que a et b seraient tous deux divisibles par 3…
Disons que la 1ère partie de l’article donne une preuve « visuelle » et la seconde partie de l’article donne une preuve plus rigoureuse.
J’aimeJ’aime
Je n’ai peut-être pas été clair: au début de l’article, qu’est-ce qu’on déduit de quoi? On lit dans l’article «Donc racine de 2 est irrationnel.» (implication) puis plus loin «ce qui correspond au fait que racine de 2 est irrationnel» (disons une équivalence).
Le «Donc racine de 2 est irrationnel» du début de l’article me laisse penser qu’on est sûr que la droite ne passe par aucune intersection. C’est démontré ensuite, mais à ce stade de l’article j’ai l’impression qu’on se fie seulement à la figure.
J’aimeJ’aime
En effet, dans la première partie de l’article, on se fie uniquement à la figure (c’est la partie « visualisation » de l’article, que j’avais intitulé « une visualisation géométrique et une démonstration de l’irrationnalité de racine(2) »). Ce n’est donc pas une démonstration au sens propre, mais ce que je voulais faire est plus une sorte de preuve sans mots, comme on peut en voir pour d’autres propriétés (voici un exemple).
Mais c’est vrai que ce « Donc racine de 2 est irrationnel » peut laisser penser qu’il s’agit d’une démonstration en bonne et due forme 🙂
J’aimeJ’aime
Je ne peux pas répondre à la suite de la discussion, donc je le fais ici.
Donc finalement je crois que j’avais bien compris! Attention donc à ce qu’on appelle une «preuve sans mot». Si racine de 2 valait exactement 1413/1000, on ne verrait pas de passage de la droite sur une intersection sur une aussi petite figure. C’est le genre de chose qu’on reproche à nos élèves quand on commence à faire de la géométrie abstraite.
Merci quand même pour les idées intéressantes que contient l’article.
J’aimeJ’aime