Prenez un cercle de rayon 1 et inscrivez-y un polygone régulier. A partir d’un des sommets de ce polygone, tracez tous les segments qui le joigne aux autres sommets du polygone (voir figure ci-dessous). Si votre polygone possède sommets, vous obtenez ainsi
segments (qui s’appellent les diagonales du polygone). Faites le produit des longueurs de ces diagonales. Qu’obtenez-vous ?

On appelle diagonale d’un polygone tout segment joignant deux sommets. Allons-nous calculer la longueur de toutes ces diagonales afin de faire leur produit ?
Étude du cas n=3
Comme d’habitude, nous allons commencer par étudier ce qui se passe pour des petites valeurs de et on commence par le cas d’un triangle équilatéral. Il s’agit ici de déterminer la longueur
d’un côté d’un triangle équilatéral qui est inscrit dans un cercle de rayon 1. C’est en soi un petit problème géométrique dont nous allons donner deux solutions.
Méthode n°1: Centre de gravité
On utilise les faits suivants:
- Dans un triangle équilatéral de côté
, chaque médiane a pour longueur
(cela se montre avec Pythagore car une médiane est aussi une hauteur).
- Dans un triangle équilatéral les médianes et les médiatrices coïncident donc le centre du cercle circonscrit est aussi le centre de gravité. Et on sait que la distance d’un sommet au centre de gravité est égale à 2/3 de la médiane.
Ainsi, d’où
!
Méthode n°2: Loi des sinus
La loi des sinus nous dit que, dans un triangle, si on a un angle et si le côté opposé à cet angle a pour longueur
alors
où
est le rayon du cercle circonscrit au triangle. Dans notre cas, cela donne
car tous les angles d’un triangle équilatéral valent
et car le rayon du cercle circonscrit est supposé être égal à 1. Comme
, on en déduit que
.
Revenons à présent au produit des diagonales. Puisque chaque diagonale a pour longueur , le produit cherché vaut
. Trois, comme le nombre de sommets (certains diront comme le nombre de mousquetaires ou bien comme le nombre de Bee Gees). Coïncidence ? Suspense.
Étude du cas n=4
Le cas d’un carré inscrit dans un cercle de rayon 1 est plus simple. Il suffit de savoir que la diagonale d’un carré de côté 1 vaut :
Le produit des diagonales vaut donc
. Donc, pour quatre sommets, le produit vaut 4. Amazing !
Vous prendrez bien un peu d’algèbre avec vos polygones ?
Nous allons donc prouver que, dans le cas général d’un polygone régulier à côtés, le produit des diagonales issues d’un sommet vaut
. Et nous allons faire cela de manière purement algébrique. Quoi ? Oui, vous entendez bien. Autant nous avons montré cette propriété géométriquement dans le cas
et
, autant là, pour généraliser et prouver cela facilement, on va utiliser le formalisme des polynômes et l’élégance des nombres complexes.
Commençons par rappeler que les sommets d’un polygones régulier inscrit dans un cercle de rayon 1 peuvent être vus comme des nombres complexes: les sommets sont représentés par les nombres
.

Chaque sommet peut être représenté à l’aide de nombres complexes. La longueur d’une diagonale s’exprime alors comme le module de la différence des affixes.
De plus, chaque diagonale a pour longueur . Ainsi, le produit des diagonales est égal à
. Nous allons calculer ce produit très astucieusement, sans faire véritablement de calcul.
Rappelons auparavant que les nombres (pour
allant de 1 à n-1) sont racines du polynôme:
Comme ils n’annulent pas le polynôme , ils sont donc racines du polynôme
que nous pouvons donc factoriser de la façon suivante:
Maintenant (astuce géniale !), si on remplace par
dans cette égalité, on trouve:
ce qui donne
Nous disposons donc de deux polynômes qui sont égaux. On va développer (enfin pas entièrement) chacun d’entre eux et utiliser le fait que les termes constants doivent être égaux.
1) On sait d’après la formule du binôme de Newton que donc le terme constant de ce polynôme est 1. Par suite, le terme constant du polynôme
est .
2) Si on note alors on a:
Et quand on développe le membre de droite, le terme constant est .
Comme les termes constants doivent être les mêmes, on en déduit que
c’est-à-dire
En prenant le module de cette relation, on en déduit donc que le produit des diagonales est bien égal à . En un mot: la puissance de l’algèbre (ce qui fait cinq mots en fait).
Une belle identité trigonométrique
En fait, il est possible d’exprimer d’une autre façon les longueurs des diagonales ce qui nous donnera une très jolie relation.
On peut utiliser la loi des sinus pour exprimer la distance . Tout d’abord, on sait que l’angle au centre
vaut
(car on est en présence d’un polygone régulier):
On introduit ensuite un point quelconque sur le cercle. D’après le théorème de l’angle au centre, l’angle
de la figure ci-dessous vaut la moitié de l’angle
, c’est-à-dire
:
Enfin, puisque le triangle est inscrit dans le cercle de rayon 1, d’après la loi des sinus, on a
, d’où:
Mais comme on a vu que , on en déduit que
Nous venons donc de démontrer dans cet article, presque sans faire aucun calcul, que:
Référence:
La très jolie démonstration du fait que le produit des diagonales vaut que nous avons reproduit dans cet article est due à un certain Barry Lewis (dans un article intitulé Power chords).
C’est très joli!
PS Pour égaler les termes constants, pas besoin de développer ne fut-ce qu’un peu. Il suffit d’évaluer les deux polynômes en 0.
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Zut! J’ai, fait une faute d’orthographe! Désolé!
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Bonne idée ! Je n’y avais pas pensé, merci de l’astuce Pierre.
Ca fait encore moins de calcul comme ça 🙂
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Excellent article ! Je me rappelle la première fois que je suis tombé là-dessus. Une question laissée sur Twitter qui trouve son chemin dans la mer de gazouillis… J’étais estomaqué par le résultat !
J’avais d’ailleurs commencé à écrire un billet sur le sujet mais par paresse il est resté dans mes brouillons trop longtemps.
Je ne sais pas si vous connaissiez, mais la « version un peu plus forte » du résultat est le théorème de Cotes, qu’on peut trouver ici sur wiki : http://goo.gl/775zR5
Du point de vue historique, c’est aussi intéressant (attention : pas mal de name dropping dans le prochain paragraphe…)
Apparament, Roger Cotes est tombé sur son théorème en réfléchissant à une conjecture (fausse) de Liebniz, énoncée en 1702 dans son livre Acta Eruditorum, à propos d’intégrales qui peuvent s’exprimer ou non avec des fonctions logarithmiques et trigonométriques (plus spécifiquement, des intégrales de la forme int(dx/(x^n + a^n) où n est une puissance de 2). Cotes a répondu à Liebniz, mais n’a pas fourni la preuve à sa méthode permettant de factoriser l’expression x^n + a^n. Le premier à fournir la preuve du théorème est Henri Pemberton, l’éditeur de la troisième version de Principia de Newton, en 1722. Johann Bernoulli a dit que la preuve de Pemberton était « longue, fastidieuse et intriquée ». Évidemment, Pemberton n’utilisait pas les nombres complexes.
C’est grâce au physicien Robert Smith (1689-1768), le cousin de Cotes, qui inclut le théorème dans son Harmonia Mensurarum (après avoir reconstruit la démarche empruntée par Cotes, grâce à ses manuscrits laissés après sa mort soudaine) qu’on peut aujourd’hui connaître le début de l’histoire de cet étonnant résultat.
(Infos prises dans Paul J. Nahin (1998), An imaginary Tale. Nahin offre aussi dans son livre une preuve simple qui tient en quelques lignes)
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Merci de ces très intéressantes précisions historiques que je ne connaissais pas ! Tout comme je ne connaissais pas le théorème de Cotes. Tout ça est très beau 🙂
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Bonjour,
Merci pour cet article.
J’ai repris l’idée qui pourrait attiser la curiosité de quelques élèves à partir de la troisième, une occasion de revoir un peu de trigonométrie, de faire des calculs avec radicaux…
http://rdassonval.free.fr/flash/cordes.swf
Roland Dassonval.
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merci de démontrer ce résultat que j’avais déjà trouvé par moi même.
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Qu’en est-il pour n=6? Ou encore n=12? Et, au final, que vaut le produit des n-1 cordes?
Super article!
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Merci 🙂
Pour répondre à votre question, si n=6 alors le produit des cordes vaut 6, et si n=12 alors le produit des corde vaut 12….
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En utilisant les expressions des côtés du pentagone régulier convexe et du pentagone régulier étoilé, expressions qui sont respectivement R[racine de (10-2 fois racine de 5)] / 2 et R[racine de (10+2 fois racine de 5)] / 2, on obtient immédiatement le résultat 5 (en faisant R=1) qui est le produit du carré de la première expression par le carré de la seconde.
Cela est exposé dans l’ouvrage de Lebossé Hémery classe de seconde, qu’on utilisait il y a 60 ans.
Tous ces résultats sont bien oubliés aujourd’hui.
On peut aussi trouver le résultat très simplement pour l’octogone régulier sachant que les côtés de l’octogone régulier convexe et étoilé ont respectivement pour valeur R[racine de (2 – racine de 2)] et
R[racine de (2 + racine de 2)]. Je rechigne à écrire le calcul très simple qui en découle. On arrive bien à 8.
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